jouer la vie

Il y a deux semaines, Gay Talese a déclaré à Luis Enríquez que pour faire du bon journalisme, il faut être prêt à souffrir, avoir le courage d'être perçu comme un danger et avoir la force de supporter d'être traité de traître et de vaquer à ses occupations, que c'est donner la parole à ceux qui n'en ont pas, proposer d'autres points de vue, chercher le bon angle et faire passer la vérité avant tout. Je ne suis pas journaliste – pour qui me prenez-vous ? – mais je vous comprends. Talese veut que nous le jouions, mais il arrive que le gars ait 90 ans et quand il parle, il le fait à partir d'une situation mentale spécifique qui ne correspond pas du tout à celle actuelle. Il se voyait comme un super-héros qui était le lecteur et contre le pouvoir, endurant des tentatives de corruption et des menaces d'assassinat. Ce scénario aujourd'hui n'a pas beaucoup de sens car le monde est différent, le pouvoir n'a pas d'importance et ses pressions sont récupérables. Le problème est que le courage ne se manifeste plus en affrontant le pouvoir, mais plutôt en affrontant un type de lecteur, l'inquisiteur, celui qui ne veut pas connaître la vérité mais plonger dans les tranchées, dans son manichéisme, qui ne doute pas à propos de n'importe quoi et qui travaille comme ruinant des dîners de famille, des groupes WhatsApp ou tout autre endroit où son sectarisme le mène. Et qui menace, intimide, persécute et finit par annuler. Cela a également été commenté par Talese, qui a admis qu'aujourd'hui, il n'aurait pas pu écrire la plupart de ce qu'il écrivait à l'époque. C'est vrai, mais le temps que cette situation nous amène à reculer et à dire ce qu'ils veulent entendre, nous serons morts. Parce qu'à partir du moment où notre tranquillité est au-dessus de notre appareil, nous cesserons de dire ce qu'il faut pour dire ce qui est plus facile. Je ne suis pas ici pour être d'accord avec le lecteur ou pour plonger dans ses phobies. Je suis ici pour donner mon avis. Et pour que cette opinion soit vraiment la mienne, mieux vaut ne pas en lire beaucoup plus, car vous risquez d'écrire pour répondre. Et puis vous ne traitez plus le sujet que vous voulez traiter, mais celui que quelqu'un d'autre veut que vous traitiez. Avant tout : il construit déjà du sobre au positif pour le faire du négatif. Et ça ne marche jamais, pour savoir ce qui ne va pas, il faut d'abord savoir ce qui est bien et pourquoi. Camacho a creusé cette nuance samedi dernier : si nous classons en fonction de ce qui est viral, nous mettons la presse au service de l'algorithme. Et je pense qu'ils ont apporté le journal aux réseaux, pas les réseaux au journal. Si nous voulons être honnêtes, nous devons être courageux et ne pas rechercher les applaudissements du lecteur mais son respect. Et les respecter, c'est les traiter comme un être intelligent et proposer vos réflexions pour qu'elles forment leurs propres critères. C'est plus facile de lancer des appâts, mais ce qui se passe, c'est qu'une partie des lecteurs ne veut plus que la presse les protège du politicien, mais plutôt que le politicien les défende de la presse. Et voilà, si le populisme existe c'est parce qu'il fonctionne. Alors d'accord, gay. Nous jouerons la vie. Mais par qui exactement ?